Christophe Mausen

C’est concomitamment au tragique incendie du grand magasin bruxellois « A l’innovation », que Christophe vient au monde. Nous sommes le lundi 22 mai 1967 et 251 personnes périssent sous les flammes. Un demi siècle plus tard, cet événement reste le plus meurtrier qu’ait connu la Belgique en temps de paix. Il naît donc dans la douleur nationale.

C’est dans la paisible commune de Petit-Rechain qu’il grandit. Outre sa passion pour le football, qu’il pratique d’abord dans la rue avec ses voisins et ensuite dans différents clubs, c’est cabrioler dans les champs, bâtir des cabanes dans les arbres, partir à la maraude, construire des radeaux, capturer des grenouilles et des salamandres, recenser les papillons, poser des collets, cueillir des cardamines et se rouler dans les ballots de foin qu’il affectionne par dessus-tout. Il est un gamin du dehors que la nature et l’insouciance appellent à grands cris.

Son adolescence débute sur le tard, alors que son gâteau supporte déjà 15 bougies. Il s’éprend des motocyclettes et plus particulièrement du gros filtre à air et de la selle boudinée de la Suzuki AC 50cc que lui offrira sa grand-mère pour ses 16 ans. Ce moment correspond à l’essor de sa liberté. Chaque semaine, par tous les temps, il parcourt des centaines de kilomètres et élime les flans de ses pneus qu’il met à rude épreuve.

Elève moyen, son esprit frondeur et son sens de la répartie agacent ses enseignants jésuites. Sa voix bruyante et son esprit rebelle l’envoient très souvent en retenue lors desquelles il disserte tout en maudissant l’autorité et le clergé. Son goût pour les accoutrements excentriques conjugué à ses fantaisies capillaires fait tache au sein d’un collège où l’observance de la norme est une religion.

Alors qu’il étudie aux HEC, il s’intéresse à la littérature et à la philosophie. Il bouquine énormément et dévore les beatniks qui avivent ses envies de grands espaces et de liberté. La lecture l’émancipe et le questionne. Il plonge en lui. D'ordinaire, un jeune homme plutôt gai et de bonne compagnie, sa personnalité s’assombrit. Il se sent condamné à la lucidité et trouve un sursis existentiel dans l’esthétisme de la poésie.

Toujours étudiant, une asbl culturelle, dirigée par une bande de soixante-huitards lui ouvre les bras. Recruté pour muscler la programmation du « Troisième Choix », il organise des concerts rock et crée un ciné-club dans une grange à peine aménagée. La scène underground et les films d’auteurs défilent, le public se presse et la salle jouit rapidement d’une réputation nationale dans les milieux alternatifs.

Ses études terminées, il est recruté chez Enjeu pour commercialiser les stands des premières éditons du forum Initiatives. Il y restera 2 ans. Ne pouvant plus solliciter de reports d’appels, c’est à contre-coeur qu’il rejoint l’Ecole Royale Militaire pour y effectuer son devoir national qu’il choisit d’exécuter en néerlandais. C’est ce moment précis que saisit son amour de jeunesse pour le quitter. Après 8 années de courtisailles, Christine est avide de découverte. Elle chausse ses rangers et s’en va promener son rucksack aux quatre coins du monde pendant un an. C’est la fin de leur histoire.

Dépité, il s’achète une guitare basse et après avoir organisé quantités de concerts, c’est à son tour de grimper les marches des podiums et de faire du « head banging » sur scène. Il rejoint un combo naissant, composé de 3 inconnus trentenaires avec qui il nouera une indéfectible amitié. « Bouées et les creux de la Vague » donnera une trentaine de concerts, notamment à Paris, Cologne, Bruxelles, Gand, Anvers et attirera l’attention de Jean-Marie Aerts, guitariste et producteur d’Arno. Malheureusement, la perspective d’une enivrante collaboration ne se confirmera jamais.

Peu enthousiaste à l’idée se relancer un nouveau challenge professionnel, il vit de petits boulots et économise la somme de 200.000 BEF (5.000 €) avec laquelle il espère entreprendre un voyage initiatique en Amérique du Sud. Sous l’influence chauvine de son voisin de chambrée à l’armée, un belgo-argentin, il se laisse convaincre que l’Argentine constitue un glorieux point de chute. Il atterrit à Buenos Aires, dans le quartier de Constitucion, y réside 100 jours, supporte le club de Boca Junior et assiste à l’une des dernières rencontres de Maradona. Il aime cette ville, mère de tous les tangos du monde, mais l’appel de la route se fait pressant. L’envie de baguenauder et de lever le pouce le long des « carreteras » le gratte. Il se déleste alors de la plupart de ses bagages et s’engage dans un road trip de plus de 15.000 kilomètres sur les routes argentines, chiliennes, paraguayennes et brésiliennes. Six mois plus tard, il a le mal du pays et ses ressources financières sont épuisées. Dans l’avion qui le ramène à Bruxelles, le hasard veut qu’il soit assis à côté du passager avec qui il avait fait l’aller. Ils ont lié connaissance en anglais et se sont rerouvés 9 mois plus tard en espagnol. Ses progrès dans la langue de Borgès ont été fulgurants. Il revient transformé par cette aventure solitaire qu’il n’oubliera jamais et de laquelle il tirera de nombreux enseignements personnels. Parmi ceux-ci, il retiendra que l’on n’est jamais seul quand est connecté à soi. Nous sommes fin 1992.

De retour en Belgique, il fréquente le milieu artistique verviétois, enchaine des jobs peu passionnants et prête main forte à son ami Gilbert dans la réalisation de son mémoire. Gilbert est un intellectuel tourmenté. Il lit Cioran, Kierkegaard, Shopenhauer et Pavese. Il s’interroge sur son existence et ses amours éconduites. Cela ne l’empêche pas de réussir brillamment ses études en anthropologie culturelle entreprises au sein de l’Université de Liège en obtenant la plus grande distinction. Malheureusement, le lendemain de cette reconnaissance académique, contre toute attente, Gilbert se suicide sans laisser de mot. Christophe est effondré. Il se tient pour responsable de n’avoir pu déceler ni anticiper le geste désespéré de son ami de toujours. Ce 2 septembre 1993, Christophe prend conscience qu’il y a aura un avant et un après Gilbert.

Se remettant péniblement de ce traumatisme, il est invité à partager la table d’un couple d’amis qui souhaite l’aider à surmonter son chagrin. Ils ont également convié Anne, une enseignante qui vient de vivre simultanément un grave accident de la route et la rupture de son couple. Leur tristesse réciproque les rapproche et après quelques mois de rencontres espacées, leur histoire d’amour débute lors d’un concert des Scabs.

Tandis que la situation professionnelle de Christophe se stabilise, le couple acquiert une maison à Dison qu’il restaure entièrement. Christophe se découvre des talents inconnus pour les travaux manuels et après 6 mois de labeur ininterrompus, ils emménagent dans leur nouveau logis. Rassurée par ce nouvel environnement, Anne tombe enceinte quelques mois plus tard. Malheureusement, alors que la grossesse déroulait et que tous les paramètres étaient au vert, le bébé a cessé de bouger quelques jours avant la date du terme. L’autopsie n’apportera pas de réponse à leurs interrogations, laissant préfigurer une période sombre pour le couple. Sans traîner, le ventre d’Anne s’arrondit pour la deuxième fois et au terme d’une grossesse parfaite mais néanmoins stressante, elle accouchera d’un petit Arthur, un an jour pour jour après la date du décès du premier bébé. Ceci, avant que Georgia, 2 ans plus tard, ne complète la dynastie.

Jouissant d’une situation professionnelle plus favorable, son attrait pour les 2 roues refait surface et c’est dans le show-room disonais de Lejeune Motorpsort qu’il craque pour la BMW Rockster 1150R. Malgré les qualités exceptionnelles de son châssis et le côté racé et agressif de son design, cette monoplace ne connaitra qu’un timide succès commercial. Raison pour laquelle, Christophe ne se séparera jamais de sa bécane en espérant lui offrir un jour une seconde vie d’ancêtre. Enrôlé au sein d’un groupe de motards plus expérimentés que lui, il quadrille la France et se lance dans de longues épopées minutieusement balisées par son chef de file, Michel Boyens. Plus en adéquation avec ce genre de randonnées, il acquiert une BMW RT 1200 au confort et à la stabilité incomparables. Il accomplira 20.000 kilomètres avant de chuter lourdement, des années plus tard, sur le verglas d’été d’une départementale jurassienne. Bien que blessé superficiellement, il est défranchi et prend conscience des conséquences tragiques évitées de justesse. Il décide alors de remiser sa grande routière au garage. Il ne la sortira plus jamais.

Plus passionné que doué, Christophe passe ses soirées à composer de la musique dans le petit studio qu’il s’est aménagé dans sa cave. Passé de la 4 à la 6 cordes, la guitare est son nouvel instrument de prédilection et son attrait pour le style « Pulp Fiction » l’invite à s’intéresser à des sons spécifiques et très typés. Voilà pourquoi, il se rend chez Music Store à Cologne où il craque pour une Gretsch White Falcon qu’il combine à une « reverb » et un « delay » vintage lui permettant d’accrocher la typicité du son des sixties. Il composera une vingtaine de chansons imprégnées du style « road movie » qui ne connaitront de succès que dans les écouteurs de son i-Pod.

Alors qu’un couple d’amis résident depuis peu au Sénégal, Christophe est nourri par l’envie d’y emmener sa famille. Pour cette première expérience, il loue 2 chambres au sein d’un authentique lodge situé au bord de la plage de N’gaparou, sur la petite côte, à 50 kms au sud de Dakar. Tenu par un couple d’expats français, c’est au sein de ce pavillon qu’il découvre la douceur de vivre de ce pays, la chaleur des habitants, les saveurs de la cuisine locale et le bleu profond du ciel dont la famille tombe amoureux. A côté de cela, le pays offre un tel sentiment de sécurité que, sur cette immense plage de sable blanc, Arthur et Georgia passent leurs journées aux côtés des joueurs de djmbé, artisans bijoutiers et vendeurs ambulants avec qui ils partagent le célèbre « ataya », thé vert sucré parfumé à la menthe fraîche. Conquit par les atouts du pays et les effets bénéfiques sur l’apaisement de son stress, il y retournera de nombreuses fois, tantôt dans de luxueuses villas, tantôt chez ses amis, voire « à la dur » lorsqu’il s’aventurera sur les pistes à bord de son 4X4 dont il a fait l’acquisition sur place.

Alors que sa vie familiale le comble sincèrement, c’est le paradoxe, il se rapproche d’une jeune collègue, Céline Léonard, ayant rejoint l’équipe de la CCI quelques années plus tôt. Il s’éprend et s’amourache d’elle en quelques semaines. Cette situation délicate le dévaste car l’idée de mettre un terme à son couple vieux de 17 ans l’horrifie tout autant qu’il appréhende les regrets de ne pas écouter son cœur qui l’enjoint à s’engager dans cette nouvelle vie. Il est partagé entre 2 de ses valeurs fondamentales : la fiabilité et l’aventure. Homme de cœur plutôt que de raison, il quitte Anne, en veillant à ce qu’elle ne manque de rien et se lance dans l’écriture d’un nouveau chapitre de sa vie aux côtés de Céline.

D’abord locataires, Céline et Christophe déposent leurs valises au sein d’une villa lovée au milieu des champs à Julémont (Herve). Walter, un teckel à poils durs, est la nouvelle coqueluche de cette famille recomposée particulièrement soucieuse de permettre à Arthur et Georgia de s’acclimater aux changements occasionnés par les choix paternels. Tandis qu’ils poursuivent tous deux une satisfaisante scolarité au Collège de Herve, Christophe qui, quelques années plus tôt, a opté pour le statut d’indépendant, convainc Céline de l’imiter. C’est ainsi qu’ils créent ensemble la société Iconoclash qu’ils implantent à Saint-Nicolas, au sein de leur nouveau domicile familial.

17 années les séparent. Agé de 46 ans, Christophe connaît les envies de maternité de sa dulcinée et après 5 années d’amour riche d’intensité, il fait confiance à son intuition et Céline met au monde Jeanne, suivie 2 ans plus tard par la naissance de son frère Marcus. Presque quinquagénaire, Christophe est le père heureux de 4 enfants. Il n’a toutefois jamais fait l’expérience du mariage. C’est donc le jour de ses 50 ans qu’il épouse Céline vêtu d’une marinière et d’un pantalon à tartan rouge vif, en hommage à son idole, Jean-Paul Gaultier.